Les Amis de Claude Debussy à Bichain
Lettres
Lettres de Claude Debussy écrites de Bichain
Ces lettres, au nombre de quarante sept, sont extraites de la Correspondance de Claude Debussy 1872-1918 (Editions Gallimard 2005) publiées et annotées par François Lesure et Denis Herlin.
Je remercie Madame Anik Lesure de nous avoir autorisé à les reproduire.
Sont reproduits les passages de lettres (par ordre chronologique) les plus intéressants. Nous avons mis en gras les propos se rapportant à sa vie dans le hameau, entre crochets [ ] les dates supposées et avons gardé la même présentation que les lettres originales.
Claude Debussy à son beau-père Germain Texier
Château de Bichain 10 août/01
Cher papa Texier,
Tout est retrouvé… ! l’argent et le billet que je vous fais tenir ci-joint. Ne
manquez pas de revenir lundi et tous nos meilleurs baisers.
Claude Debussy
.
Claude Debussy à son éditeur Eugène Fromont
[Bichain] mercredi 28 août/1901
Mon cher ami,
Excusez-moi de vous « accuser réception » des morceaux de piano, aujourd’hui
seulement… Hélas !... les arbres vont vite et les heures aussi ; je travaille de
façon à me rendre ce séjour à la campagne parfaitement insupportable !
A propos de Pour le piano le titre ne m’en plaît que médiocrement, les trèfles
sont trop grands et les lettres m’avaient paru plus élégantes sur la planche, le tirage
est blanc de façon à faire croire que Dupré met de l’eau dans son encre. A part tout
cela, c’est parfait.
Voulez-vous être assez gentil pour envoyer dès le reçu de ma lettre, un
exemplaire des Nocturnes à Monsieur Longy*1
Voici son adresse :
G. Longy, à Drucat par Abbeville
- Somme -
Parlez-moi de Pelléas*2…
Bien affectueusement.
Claude Debussy
* J’ai oublié de lui envoyer avant mon départ.
-
Saxophoniste au Boston Symphony Orchestra
-
La gravure de la réduction piano-chant.
Claude Debussy à son élève Raoul Bardac
Samedi 31 août 1901
Cher ami,
(vous voyez que je n’hésite pas sur le protocole à employer dans nos relations
épistolaires, n’ayez donc pas plus de scrupules que moi dans l’avenir).
Mon retard à vous répondre ne vient nullement d’une quelconque indifférence en
tout ce que votre lettre contenait de délicate attention ; seulement dans ce paysage
de Bichain, où j’ai maintenant le regret de penser qu’on ne vous y verra pas, les
minutes passent sans que l’on sache exactement comment.
J’ai l’impression d’être, surtout moralement, aux antipodes de Paris, la mauvaise
petite fièvre qui nous inquiète tous (1) peut au moins ne trouver pas là à exercer son
ravage, elle tombe d’elle-même, et décidément le double mouvement des arbres
et des nuages est un contrepoint moins pauvre que le nôtre (2), on y trouve en
surplus des raisons admirables de ne pas faire le malin… maintenant si le cadre
est beau, il faut avouer que les gens le sont beaucoup moins ; je n’ai même pas
besoin de vous apprendre que « le geste auguste du semeur » est complètement
oublié, et, quand l’Angélus ordonne gentiment aux hommes de s’endormir,
vous ne voyez personne prendre une attitude lythographique(3)
(….) Je rentrerai à Paris vers le 10 Septembre, et j’ai bien peur d’être ennuyé par plus
de gens que d’habitude, c’est vous dire, qu’en venant me voir vous me ferez en oublier
la fatigue.
Affectueusement
Claude Debussy
Madame Debussy vous envoie ses meilleurs souvenirs.
(1) Lilly Debussy était venue se reposer à Bichain en raison d’une fièvre persistante
(2) Claude Debussy donnait des cours de composition à Raoul Bardac. Le contrepoint est une
technique de composition musicale consistant à superposer des lignes mélodiques.
(3) Il s’agit d’une référence à l’Angélus de Millet, tableau célèbre, dont de nombreuses
lithographies ornaient les salons bourgeois de l’époque.
Claude Debussy à Pierre Louÿs
Bichain le 2 septembre 1901.
Cher Pierre,
J’avais longtemps marché en compagnie de cette petite neurasthénique
Mélisande (1) qui ne peut supporter les violons que divisés en 18 parties... (tellement
elle est faible) ; tout à coup elle me dit :
Cette nuit j’ai rêvé du roi Pausole (2) c’est un fort brave homme et vous ne saviez trop
mettre de soins à composer pour sa royale personne cette symphonie où doit
revivre, clamé par l’ardeur des trompettes, l’admirable voyage qu’il fît pour
retrouver des choses qui n’avaient jamais été perdues.
A ce moment l’angélus, par la voix d’une petite cloche fidèle et même abrutie,
ordonnait aux champs de s’endormir...
Cela ne fut pas perdu pour tout le monde... J’y trouvais l’occasion de combinaisons
rythmiques dont le détail ferait frémir un tambour de basque.
Je rentre à Paris jeudi prochain et je pense pouvoir te joindre pour te raconter le
reste, ce sera toujours un moment pendant lequel je ne penserai pas à l’ennui que
représente pour moi l’endroit qu’on appelle l’Opéra Comique (3).
Ton fidèle,
Claude Debussy
Madame Debussy t’envoie ses meilleurs souvenirs.
(1) Claude Debussy travaillait à l’écriture de l’orchestration de son opéra Pelléas et Mélisande
dont les répétitions allaient commencer.
(2) Claude Debussy essayait de travailler à une musique pour Le Roi Pausole de Pierre Louÿs.
(3) La salle où devait se dérouler les représentations de Pelléas et Mélisande.
.
Claude Debussy à son éditeur Eugène Fromont
Bichain lundi 2 septembre/01
Mon cher ami
Je suis très inquiet à propos de Pelléas ?... vous ne m’en donnez pas de
nouvelles, ainsi que je vous en avais prié, et, encore une fois, cela m’inquiète.
N’êtes-vous donc pas persuadé qu’il n’y a pas un jour à perdre ?
Un mot le plus vite possible je vous en prie.
Bien vôtre
Claude Debussy
.
Claude Debussy à Maurice Curnonsky (1)
Bichain, 8 septembre 1901
Cher ami,
Cet été je me suis nourri de la forte lecture que représentent les trente volumes de
Rocambole (on peut même les porter à bras tendus pour compléter le traitement),
donc la marche la plus fantaisiste dans les évènements ne saurait plus m’étonner.
Madame Debussy avait coutume de nous traiter de « petit paillasson » - Essuyez vos
pieds, S.V.P. [s’il vous plaît] – et l’on passait à d’autres exercices pour couper court
à des marques d’émotions aussi inutiles que débilitantes. […] j’ai fait tout l’été, un
retour à la terre, à la nature élémentaire et aux « braves gens », sans histoire,
que l’on rencontre dans les champs et qui, lorsqu’une petite cloche fidèle, et
même abrutie, fait chanter l’Angélus qui ordonne aux champs de s’endormir,
ne prennent pas des attitudes lithographiques, mais vont simplement se
coucher. […]
(1) Romancier et journaliste « prince des gastronomes ».
.
Claude Debussy à Jean Marnold (1)
Bichain, par Villeneuve-la-
Guyard
Yonne
Mardi
29 juillet/1902
Cher Monsieur, voulez-vous m’excuser auprès de votre frère, dont j’ai oublié
l’adresse, d’avoir si mal rempli mes engagements…..mais « je suis un homme
comme les autres » et il a fallu que je paye le tribut de huit mois de fatigue et
d’énervement par une période de complet épuisement qui me faisait assimiler l’acte
d’écrire une ligne à celui de jongler avec des poids de vingt kilos !
Je vous écris parmi les poules et les coqs et autres volatiles qui se soucient
infiniment plus d’un grain de blé que de l’auteur de Pelléas. Elles y ajoutent le
plus tranquille irrespect et me font comprendre par des cris naturels qu’il ne
peut être question d’aucune esthétique.
(…)
Encore toutes mes excuses et que ces quelques lignes me soient une occasion de
vous affirmer mon amitié.
Claude Debussy
(1) Critique musical
.
Claude Debussy à André Messager (1)
Bichain, fin Juillet 1902
Merci, très cher ami, de m’avoir répondu tout de suite. Quand je suis sans nouvelles
de vous, je ressemble à un petit chemin où personne ne passe plus (vous voyez ça
d’ici… ?)
Lilly va un peu mieux. C’est-à-dire qu’elle a augmenté sa collection de petits
cailloux. Cela vous a un air rouge et méchant que je ne souhaite à personne.
J’ai reçu le cinquième acte de Pelléas ici et j’espère que rien ne s’opposera à ce qu’il
paraisse à la date que vous m’indiquez.
Est-ce une idée, mais il me semble que vous n’êtes pas très bien avec la vie ? Au
lieu d’aller… au diable, comme vous en avez l’intention (prenez garde d’y retrouver
quelque chose de Londres), vous feriez bien mieux de venir voir vos deux petits
amis. On vous chouchouterait. Si ça n’est pas la vie de château, ça serait au
moins la vie calme et paisible des champs, dont on a dit qu’elle apaisait les âmes
fatiguées des bruits et des cancans métropolitains - creusez cette idée dans ce
brillant Cécil Hotel (2) où je crois qu’on doit prendre, au bout de quelque temps, la
haine de son semblable tant on en coudoie d’exemplaires. (Excepté quand j’y suis,
ainsi que vous avez eu la gentillesse de le rappeler).
Et voilà… je retourne, non pas bêcher mon jardin, mais je regarde mon beau-
père bêcher le sien et cela suffit à mes désirs aratoires.
Nous vous embrassons tous les deux
Votre vieux dévoué
Claude Debussy
(1) Chef d’orchestre et compositeur qui a dirigé les premières représentations de Pelléas et Mélisande.
(2) Hôtel où habitait Messager à Londres, pendant sa direction du Covent Garden Opéra.
.
Claude Debussy à son éditeur Jacques Durand
10 août 1902, Bichain, Yonne
Cher ami,
Excusez mon retard !… J’étais chez les parents de ma femme dans l’extrême
Bourgogne, et ne suis revenu qu’hier soir à Bichain. J’ai presque achevé de
revoir la partition d’orchestre de La Damoiselle (1).
J’oublie peu à peu Pelléas, le public de l’Opéra Comique, et c’est un charme pour
moi. Je vous envoie l’épreuve de piano et de chant en l’accompagnant de ma très
sincère amitié…
(1) La Damoiselle Elue, œuvre composée en 1887-88 revue en 1902
.
Claude Debussy...
Bichain 14 août 1902
Mon cher ami,
Jai oublié de vous dire ……….
.
Claude Debussy...
Bichain, août 1902
Cher ami,
D’abord merci pour le soin minutieux que vous prenez de ma musique.
Quant au format, j’aime décidément mieux celui de la partition de piano et chant.
Seulement ne pourrait-on pas avoir un peu plus de marge ? Je crois que cela tient à
une question de papier.
Le matériel que j’ai ne peut vraiment servir à grand chose, comme je vous l’ai dit, il
y aurait plutôt un surcroît de travail, peut-être inutile ? Comme j’ai la plus grande
confiance en votre œil je ne pense pas avoir le besoin de revoir l’épreuve avant le
tirage.
J’espère que votre estomac est revenu à des sentiments meilleurs. Rien ne me paraît
plus pénible que d’avoir à surveiller sa digestion : c’est un métier de gendarme !
Quant à suivre un régime, je crois préférable de suivre les femmes quoique ce jeu
soit bien débilitant.
Bien amicalement
Claude Debussy
Claude Debussy à son ami Paul-Jean Toulet
Bichain, par Villeneuve-la-Guyard, Yonne, septembre 1902
Comment allez-vous, chère vieille figure ? J’avais encore de vos nouvelles ces
derniers temps – Dieu sait de quelle merveilleuse manière – par la Vie Parisienne,
mais maintenant plus rien.
Je vous supplie de me plaindre de ce manque et de le faire cesser si cela ne vous
ennuie pas trop. J’aimerais aussi à avoir des nouvelles de Comme il vous plaira (1) ?
J’y pense sans cesse et voudrais y penser à travers vous ? (vous ne m’en voudrez-
pas ?). D’ailleurs je travaille assidûment à ne rien faire et m’exerce à une
contemplation soutenue de quelque chose d’assez vague pour ne pouvoir le
désigner autrement. Enfin je tâche de me constituer une santé de fer avec des
muscles d’acier – telle une jeune locomotive. C’est la grâce que je vous souhaite
en vous affirmant ma solide et imperturbable amitié.
Claude Debussy
PS. Si Curnonsky est dans vos murs voulez-vous l’embrasser sur le front pour moi.
PS. Je suis ici encore 10 jours.
(1) Toulet travaillait à une adaptation d’As you like it de Shakespeare, et Debussy
devait en écrire la musique.
Claude Debussy à Jacques Morland (1)
Bichain août 1902
(…) quant à émettre des idées sur l’influence allemande,….
(1) Journaliste
.
Claude Debussy à Henri Busser (1)
Bichain, début septembre 1902
Mon cher ami,
Je suis encore à la campagne….
(1) Compositeur et chef d’orchestre
.
Claude Debussy à André Messager
(Bichain) mardi 2 septembre 1902
Très cher ami,
Par une lettre que ma femme reçoit de mademoiselle Garden, j'apprends que votre
petite fille est malade. Je ne peux pas vous dire combien je trouve aveugle et stupide
cette destinée qui choisit les petits êtres les plus charmants pour nous donner de
l'inquiétude. Tout de même, je veux croire qu'il n'y a pas de mal et c'est mon souhait
le plus cher de l'apprendre par vous, si vous le pouvez sans ennui.
Notre affection dévouée à tous les deux
Votre vieux
Claude Debussy
.
Claude Debussy à Nicolas G. Coronio (1)
Bichain, début septembre 1902
Mon cher ami,
(…) D’ailleurs j’ai cultivé pendant ces derniers mois un vaste champ de flemme
dont les récoltes ont été merveilleuses…
Et l’invention du papier à lettres me paraissait quelque chose d’absolument
barbare… Tous mes projets sont venus s’échouer au bord d’une charmante
petite rivière. J’ai passé là les heures les plus délicieusement inoccupées qui
soient… C’était encore de la musique, mais je n’y étais absolument pour rien, si
ce n’est au même titre que le simple brin d’herbe !
… je rentre à Paris le 15 de ce mois….
… je suis, comme de coutume votre amicalement dévoué
Claude Debussy
(1) Elève de Debussy, pianiste et compositeur d’origine grecque.
Claude Debussy à André Messager
8 septembre 1902
Bichain, par Villeneuve-la-Guyard
Yonne
… je n’ai pas écrit une note… Ça n’est pas pour me vanter, mais j’ai été
longtemps comme un citron pressé, et mes pauvres méninges ne voulaient plus
rien savoir… Pour faire ce que je veux il faut que je renouvelle entièrement
mes tiroirs. Commencer une nouvelle œuvre m’apparaît un peu comme un
saut périlleux où l’on risque de se casser les reins.
Ma femme va mieux, si elle n’a pas encore le teint fleuri d’une fermière, elle en
a au moins les attributions, passant sa vie parmi les bêtes qui, dans ce pays
comme dans bien d’autres, sont très supérieures aux gens.
Claude Debussy
Claude Debussy à son éditeur Jacques Durand
Bichain, juillet 1903
Cher ami,
Excusez-moi de ne pas avoir répondu à votre lettre tout de suite. Celle-ci est arrivée
le jour où nous partions pour la campagne c’est-à-dire dans le désordre.
Arrivé ici, dans une maison à peine installée, il m’a fallu quelque temps pour
trouver un endroit où l’on put décemment vous écrire.
J’espère pouvoir me mettre à travailler d’ici peu et vous envoyer des kilomètres de
musique.
En attendant, croyez-moi votre affectueusement dévoué.
Claude Debussy
Claude Debussy à Carol-Bérard (1)
Bichain, entre le 9 et le 19 juillet 1903
[Debussy demande qu’il lui envoie les numéros du Gil Blas, revue dans laquelle
Debussy écrivit des articles.]
Claude Debussy à Carol-Bérard (1)
Bichain, entre le 9 et le 19 juillet 1903
Nous sommes à peu près installés, c’est une vie de campagne, beaucoup plus
simple que ne le décrivait J.J. Rousseau, mais tout le monde ne peut se lever
avec l’aurore. (…)
(1) Peintre, poète et compositeur
Claude Debussy à André Messager
Bichain par Villeneuve-la-Guyard,
entre le 9 et le 14 juillet 1903
Très cher ami,
Il me semble que vous me marchandez le plaisir de vous lire, ceci dit, sans aucune
critique et avec les naturelles excuses que mon amitié vous réserve exclusivement.
Depuis ma dernière lettre j'ai passé de bien vilains jours… ma pauvre petite Lilly
n'a cessé de souffrir. Et nous voici à la campagne dont je n'ose espérer un trop
grand bien, mais au moins quelqu'apaisement. C'est triste la vie mon vieux
Messager ; il y a des heures où je trouve que Dieu n'est pas très gentil avec nous, tant il
nous réserve un tas d'embûches sournoises qui viennent couper bras et jambes à la
meilleure bonne volonté d'être héroïque.
Et vous, très cher ami, comment se comporte la vie et Londres ? Après l'ennui
protocolaire de recevoir son excellence Loubet (de Tunis) (1), comme dirait
probablement Willy, avez-vous retrouvé la paix, êtes-vous heureux selon votre désir
?
Vous serez gentil en faisant mes tendres excuses à Mélisande (2), je devais lui écrire
puis sont venus les mauvais instants qui m'ont tant découragé. Parler de sa peine à
ceux que l'on aime n'est, je crois, possible qu'une fois celle-ci un peu apaisée. Sur le
moment ce n'est que de la douleur multipliée. Qu'elle n'aille surtout pas m'en
vouloir, et sachez bien que mon cœur n'est pas d'un métal insensible. Pour vous,
allez vite dans ce petit salon auquel je pense trop souvent, et écrivez une bonne
lettre à votre vieux Claude pas très gai.
Nous vous embrassons tous les deux en vous priant d'en conserver un peu pour miss
Mary Garden, reine d'Allemonde (3) et autres lieux.
votre vieux
Claude Debussy
(1) Le président de la république Loubet était en voyage officiel à Londres.
(2) Mary Garden, interprète de Mélisande, qui était à Londres avec Messager.
(3) Le royaume imaginé par Maeterlinck dans Pelléas et Mélisande.
Claude Debussy à son éditeur Eugène Fromont
14 juillet 1903, Bichain, par Villeneuve-la-Guyard (Yonne)
Cher ami,
Nous voici loin du vain bruit des capitales et le 14 juillet ne nous arrive que très
apaisé et en sourdine.
(…)
Les affectueuses amitiés de nous à vous deux.
Claude Debussy
Claude Debussy à son éditeur Eugène Fromont
[entre le 15 et le 23 juillet 1903]
Bichain, par Villeneuve-la-Guyard (Yonne)
(…)
Nous allons à peu près bien tous les deux, seulement il pleut et nous ne sommes
pas très forts sur la marche en sabot, ce qui rend les promenades impossibles.
Claude Debussy à son éditeur Eugène Fromont
[ 23 juillet 1903]
Bichain, par Villeneuve-la-Guyard (Yonne)
Jeudi
Ne vous inquiétez plus du piano dont je vous parlais, je vais m’arranger avec un
marchand de Montereau.
(…)
C. Debussy
Claude Debussy à Pierre Louÿs
Bichain près Villeneuve-la-Guyard, 19 juillet 1903
Tout de même... Je ne suis pas aussi célèbre que Victor Hugo ou Liane de Pougy et
pourtant j’ai reçu ta lettre... Non je n’ai pas oublié Sanguines (1) et me suis déjà
promené avec, dans des campagnes remplies d’été, de moustiques et d’un
silence qu’on voudrait croire orphelin (2). Parfois je regrette encore les arbres moins
touffus de l’avenue de Villiers (3)... J’espère travailler de façon à tout oublier hormis
le hameau de Boulainvilliers (4).
(1) Recueil de contes et nouvelles de Pierre Louÿs, 1903.
(2) Le son du cor s’afflige vers les bois
D’une douleur qu’on veut croire orpheline - Paul Verlaine
(3) Claude Debussy habitait au 58, rue Cardinet, traversée tout près par l’avenue de Villiers.
(4) Pierre Louÿs habitait le hameau de Boulainvilliers à Paris.
Claude Debussy à Pierre Louÿs
Bichain près Villeneuve-la-Guyard, [fin juillet 1903]
Vas-tu empoisonner mes vacances en me laissant ainsi sans nouvelles de toi ?
Ton vieux
Claude
Claude Debussy à Jacques Durand
Bichain près Villeneuve-la-Guyard, [fin juillet 1903]
Cher ami,
(…) j’ai beaucoup travaillé pour vous et ma musique vaut peut-être mieux que ma
littérature ?
(…)
Mon affectueuse cordialité
Claude Debussy
Claude Debussy à Pierre Louÿs qui se trouvait en Algérie
Bichain par Villeneuve-la-Guyard, début août 1903
Excuse-moi... Depuis quelques jours je suis : l’Homme-qui-travaille-à-une-
fantaisie-pour-saxophone-alto-en-mi bémol (dis un peu ça trois fois sans respirer...) (1)
Etant donné que cette fantaisie est commandée, payée, mangée depuis plus d’un an,
il me semble que je suis en retard ? D’abord ça ne m’amusait que très peu, puis je
n’aurais pas pu t’écrire une lettre assez soignée. Le saxophone est un animal à
anche, dont je connais mal les habitudes. Aime-t-il la douceur romantique des
clarinettes ou l’ironie un peu grossière du sarrusophone (ou contre-basson) ? Enfin
je l’ai fait murmurer des phrases mélancoliques, sous des roulements de tambours
militaires. Le saxophone comme la Grande-duchesse, doit aimer les militaires (2)... Le
tout s’appelle Rapsodie arabe ... (vive l’Armée tout de même). Tu vois que l’on ne
s’ennuie pas à la campagne ? Le tout est de ne pas croire que le soleil qui se
couche sur les côteaux de Bichain n’est pas le même que celui qui s’endort sur
la blancheur des terrasses de Biskra...
J’ai été à Sens. Il y a une belle cathédrale et des militaires fort encombrants.
On y gagne d’y manger convenablement et d’y boire un Pommard qui
affolerait Kurnonsky. C’est à peu près tout comme excursions... Aussi pour
combler ce manque j’ai écrit un morceau de piano qui porte le titre de Une
soirée dans Grenade (3) Et voilà tout !
Quand tu auras une minute à perdre, n’oublies pas que tu ne peux mieux faire qu’en
me la consacrant...Tu es le seul être de qui il ne m’est pas désagréable d’entendre
parler de Paris, je vais même jusqu'à le regretter en pensant que tu y demeures.
Ton vieux dévoué
Claude Debussy
(1) Rapsodie pour orchestre et saxophone commandée par Elisa Hall, présidente de l’Orchestral
Club de Boston. Achevée par Roger Ducasse, elle ne vit le jour qu’en 1919.
(2) L’air de La Grande-duchesse de Gerolstein d’Offenbach.
(3) La troisième des Estampes pour piano.
Claude Debussy à Jacques Durand
Bichain par Villeneuve-la-Guyard, 21 août 1903
Cher ami,
Je n’ai pu vous répondre hier, étant allé à Montereau pour « mon terrain » !… Il
a fallu que je tombe sur un vieillard à l’ironie branlante, mais tenace, qui, un
jour veut vendre, et le lendemain ne veut plus… Il demande trois mille francs ;
seulement, il y a une mare dans ce terrain qui serait rachetée mille francs par
la ville, pour des raisons d’alignement. C’est bien des histoires et j’ai bien peur
que mes rêves de propriétaire ne soient dans cette mare…
Tout ceci pour répondre à votre aimable intervention dans mes projets. Et revenons
aux Estampes. Si le copyright (1) est obligatoire sur la couverture, vous avez raison de
supprimer l’indication de l’année sous la cartouche (à propos de celui-ci, j’aimerai
que vous prissiez celui qui orne la couverture de Pelléas ; il ferait très bien sur
papier Ingres.
Si vous voulez, nous reporterons l’indication de l’année à la dernière page, ainsi
rédigée, juillet 1903.
Pour la dédicace, je m’en tiendrais au seul J. E. Blanche, les autres personnages sont
de trop d’importance pour qu’il n’y ait pas disproportion entre leurs noms
considérables, et le peu de musique s’y rattachant.
Vous aurez La Soirée dans Grenade après-demain… avec l’assurance de mon
affectueuse amitié.
Claude Debussy
(1) Mention du dépôt légal américain.
Claude Debussy à son éditeur Jacques Durand
Bichain, jeudi 27 août 1903
Cher ami,
Le n° 8 est parfait… seulement il me semble maintenant que la teinte choisie
primitivement pour la lettre sera bien dure ? Je vous propose, ce qui serait purement
admirable, la combinaison suivante :
(Or pâle)
Estampes
(bleu) (bleu)
Pagodes - La Soirée dans Grenade
Jardins sous la pluie
(bleu)
(or pâle)
Le bleu serait celui de l’adresse ci-dessus (1), l’or, jaune pâle.
Le tirage en or n’offre plus ni difficultés, ni trop de frais, puisque certains livres de
chez Ollendorf en sont revêtus.
Croyez que je vous sais un infini gré de flatter ma manie d’édition ; comme tous les
maniaques on me prend facilement par ce côté-là.
Mon affectueuse amitié.
Claude Debussy
(1) Référence se rapportant à l’adresse de l’auteur imprimée en bleu sur son papier à lettre
Claude Debussy à Paul-jean Toulet
Bichain par Villeneuve-la-Guyard (Yonne)
vendredi 28 août 1903
Cher ami, si la condition d’amis n’interdisait pas toutes discussions pénibles, je vous
aurais dit depuis longtemps combien je regrettais vos relations avec l’opium... une
imagination aussi délicate que la vôtre devait précisément en souffrir. Et voici que la
vie vous avertit un peu rudement (comme elle le fait toujours) que vous n’avez rien
à voir avec cette sinistre drogue ; il devient donc outrecuidant de vous en parler plus avant.
Pendant que vous vous remettiez à fréquenter les personnages d’As you like
it, ce qui me fait plaisir, n’ayant pas perdu l’espoir de vous voir faire quelque chose
de très bien avec eux, j’ai travaillé au Diable dans le beffroi (1) excusez m’en et n’y
voyez aucun dépit, mais simplement le besoin de réaliser, musicalement, certains
projets, qui, à les différer trop longtemps, me deviendraient une gêne. Cela ne peut
en aucun cas me faire oublier ce que je dois doublement de soins : à votre amitié, à
Shakespeare. Et surtout à cette incomparable Rosalinde que je vous prie de ne point
aimer, j’en deviendrais capable de jalouser le soin que vous en prenez.
La vie à la campagne ne laisse rien passer des événements, et je suis sans
histoire. Pourtant j’ai visité Sens. Il y a une belle cathédrale, des soldats selon
la formule du général André (2). On y gagne de manger très convenablement et
d’y boire un Pommard dont Kurnonsky parlerait toute sa vie.
Votre ami
Claude Debussy
(1) Il s’agit d’un des deux contes d’Edgar Poe auxquels Debussy travailla jusqu'à la fin :
La Chute de la maison Usher et Le Diable dans le Beffroi.
(2) Le général André, ministre de la guerre dans le cabinet Waldeck-Rousseau, qui tentait
d’améliorer la condition militaire.
Claude Debussy à son élève Raoul Bardac
[fin août 1903]
Bichain par Villeneuve-la-Guyard (Yonne)
Mon cher ami,
Les décisions de Mr votre père (...)
Mon affectueuse amitié
Madame Debussy envoie son fidèle souvenir à Madame votre mère (1) et vous plaint
de tout son cœur.
(1) Qui sera la seconde épouse de Debussy.
Claude Debussy à Edouard Colonne
[fin août 1903]
Bichain par Villeneuve-la-Guyard (Yonne)
Mon cher Monsieur Colonne,
Votre aimable lettre me trouve à la campagne où j’essaie de travailler le mieux
possible en dépit du conseil de ne rien faire que dispense le charme des arbres vieux et tranquilles.
J’ai beaucoup de choses en train (…)
Claude Debussy à son ami Charles Levadé (1)
Bichain, vendredi 4 septembre 1903
Cher ami, je ne voudrai pas t’écrire « l’histoire de l’art d’orchestrer à travers les
siècles » parce que je n’ai pas apporté à la campagne les documents n
écessaires à cette histoire ; puis je ne me sens aucun goût pour cela. En somme
l’art d’orchestrer s’apprend mieux en écoutant le bruit des feuilles remuées par
les brises qu’en consultant les traités où les instruments prennent l’air de pièces
anatomiques et qui, au surplus, renseignent médiocrement sur les innombrables
façons de mélanger ces dits instruments entre eux.
Ce que tu me demandes au sujet de la tablature est extrêmement délicat. Qui t’assure
que cette tablature sera justement celle dont tu as besoin ? En tout cas la voici : 3
flûtes, 2 hautbois, 1 cor anglais, 2 clarinettes, 3 bassons, 4 cors, 3 trompettes,
3 trombones, 1 tuba, 2 harpes.
(1) Prix de Rome 1899, ce musicien avait probablement connu Debussy à l’époque où celui-ci
fréquentait le cabaret du Chat noir et l’auberge du Clou. Il était ami d’Eric Satie.
Claude Debussy à son éditeur Jacques Durand
[ 6 septembre 1903]
Bichain. Dimanche.
Cher ami,
Le titre intérieur (1) est parfait. Quant à la couverture, si elle n’est plus « paquet », les
lettres n’en paraissent pas se diriger toutes dans la même direction !
« où courent-elles ? »…diront les uns… « chez Durand et fils, 4 place de la
Madeleine » répondront les autres.
(…)
À part cela, les couleurs sont charmantes et je suis très content de Monsieur Ingres (2).
Le domaine de Bel-Ebat (3) est un beau domaine… et je considère avec stupeur
combien cela peut représenter de droits d’auteur pour m’en procurer un semblable !
Mon affectueuse amitié
Claude Debussy
(1) Il s’agit d’Estampes pour piano.
(2) La couverture était réalisée en papier Ingres.
(3) La propriété de Jacques Durand située à Avon (Seine-et-Marne).
Claude Debussy à André Messager
Bichain, Lundi 7 septembre 1903
(…) Ce n’est pas pour me vanter, mais Bon Dieu ! que la musique est parfois la plus
insupportable mégère qui soit en ce monde (il en contient pourtant un damné lot ).
Vous ne pouvez pas vous figurer le mal que je me suis donné pour qu’elle veuille
bien consentir à m’accorder quelques faveurs...
Ne me parlez pas de ces personnes qui s’asseyent cinq minutes sur vos genoux puis
vous échappent pour aller courir Dieu sait où !
Voyant cette attitude, j’ai travaillé au livret du Diable dans le beffroi . Quand je
reviendrai à Paris, je vous lirai cela. Je ne vous dissimulerai pas davantage que ce
sera avec une certaine émotion, l’émotion inséparable d’un premier début, si j’ose
m’exprimer dans le style un peu stupéfiant des journalistes. J’ai écrit aussi trois
morceaux de piano dont j’aime surtout les titres que voici : Pagodes, La Soirée
dans Grenade, Jardins sous la pluie. Quand on n’a pas les moyens de se payer
des voyages, il faut y suppléer par l’imagination. La vérité m’oblige à affirmer
qu’il y a d’autres moyens que le morceau de piano.
(...)
L’amitié de vos deux fidèles,
Claude Debussy
Claude Debussy à son ami Charles Levadé
Bichain, mi-septembre 1903
… pour ce qui est de l’effet….
L’art c’est le service de la Beauté et la joie, et non pas des spéculations personnelles…..
Claude Debussy à André Messager
Bichain, samedi 12 septembre 1903
Cher ami,
Il n’est nullement question d’un Quintette sur mes tablettes. Je travaille à trois
esquisses symphoniques intitulées : 1° Mer belle aux îles Sanguinaires ; 2° Jeu
de vagues ; 3° Le Vent fait danser la mer ; sous le titre de La Mer (1)
Vous ne savez peut-être pas que j’étais promis à la belle carrière de marin, et que
seuls les hasards de l’existence m’ont fait bifurquer. Néanmoins, j’ai conservé une
passion sincère pour elle.
Vous me direz à cela que l’océan ne baigne pas précisément les coteaux
bourguignons... ! Et que cela pourrait bien ressembler aux paysages d’atelier !
Mais j’ai d’innombrables souvenirs ; cela vaut mieux, à mon sens, qu’une
réalité dont le charme pèse généralement trop lourd sur votre pensée.
Il ne faut pas trop se hâter de dire : c’est fait à propos du Diable... le scénario est à
peu près complet (2), la couleur de musique que je veux employer à peu près arrêtée ;
il reste beaucoup de nuits blanches et un grand espoir au bout de tout cela.
Quand aux personnes qui me font l’amitié d’espérer que je ne pourrai jamais
sortir de Pelléas, elles se bouchent l’œil avec soin. Elles ne savent donc point que si cela
devait arriver, je me mettrais immédiatement à cultiver l’ananas en chambre :
considérant que la chose la plus fâcheuse est de « se recommencer ». Il est probable
du reste, que les mêmes personnes trouveront scandaleux d’avoir abandonné
l’ombre de Mélisande pour l’ironique pirouette du Diable, et le prétexte à m’accuser
une fois de plus de bizarrerie.
N’oubliez pas votre promesse sur laquelle vos deux petits amis sont irréductibles.
Je vous embrasse en toute affection.
Claude Debussy
La petite femme n’est pas trop mal et vous adresse son plus joli sourire.
(1) Le titre du premier mouvement emprunté à une nouvelle de Camille Mauclair devait être
changé en De l’aube à midi sur la mer, et celui du troisième mouvement en Dialogue du vent et
de la mer..
(2) Seul le livret du Diable dans le beffroi, d’après le conte d’Edgar Poe, sera esquissé.
Claude Debussy à son éditeur Jacques Durand
Bichain, samedi 12 septembre 1903
Mon cher ami,
Excusez moi mon retard… Après tout j’avais peut être un peu trop demandé d’effort
à ma machine intellectuelle, car la fâcheuse détente est survenue et j’ai éprouvé
le besoin de laisser toute espèce de papier pour la contemplation exclusive des
diverses espèces d’arbres qui ornent les environs de Bichain.
La disposition de vous m’avez envoyée est parfaite : tout de même je suis un peu
confus de vous tracasser autant, surtout que vous mettez une délicate bonne grâce à
satisfaire ma cruelle manie… je dis cruelle, parce que cela se transpose…
musicalement, et que j’en souffre beaucoup plus qu’un vain peuple ne le pense.
Qu’est-ce que vous diriez de ceci :
La Mer
Trois esquisses symphoniques pour orchestre.
I. Mer belle aux îles Sanguinaires
II. Jeux de vagues
III. Le vent fait danser la Mer.
C’est à quoi je travaille d’après de nombreux souvenirs et que j’essaie de
terminer ici.
(…)
Votre affectueusement dévoué
Claude Debussy
Claude Debussy à Lucie Foreau, chanteuse
[mi-septembre 1903] à Bichain
par Villeneuve-la-Guyard (Yonne)
Mademoiselle,
(…) puis-je vous prier de ne pas trop croire à la difficulté de ma musique.
C’est un bruit que font courir les gens qui ne savent pas ma musique, ou qui la
savent ma, à votre choix.
(…)
Croyez, Mademoiselle, à mon respectueux dévouement
Claude Debussy
Claude Debussy à son éditeur Jacques Durand
Bichain, [vendredi 18 septembre 1903]
Cher ami,
Je me disposais justement à vous envoyer les épreuves (1)… Vous verrez à la page 8
de Jardins sous la pluie, qu’il manque une mesure ; c’est d’ailleurs un oubli de ma
part, car elle n’est pas dans le manuscrit. Pourtant elle est nécessaire, quand au
nombre ; le divin nombre, comme disait Platon et Mademoiselle X de Z, chacun
pour des raisons différentes, il est vrai.
Je suis revenu au triste papier à musique, mes excursions, maintenant se font
autour de ma table : tout le monde ne peut pas être homme de sport !
Vous devriez vous remettre à l’étude du piano pour ne plus contrister pour un
abandon un peu arbitraire, les deux Estampes cauchemar de vos doigts !
Je travaille à La Mer… si Dieu veut bien être gentil avec moi, ce sera très avancé à
mon retour.
Mes respectueux hommages à Mme J. Durand et mon affectueuse amitié pour vous.
Claude Debussy
(1) Des Estampes pour piano
Claude Debussy à Octave Maus (1)
Bichain par Villeneuve-la-Guyard [mi-septembre 1903]
Mon cher ami, je m’attarde dans les campagnes remplies d’automne, oubliant
tout du protocole musical, y compris les concours qui en sont d’ailleurs un des
principaux ornements.
La question posée par votre lettre me semble insolubles...Tant qu’il y aura des
hommes il y aura des concours. Que ces concours se jugent en public ou dans
l’intimité, ce sera « blanc bonnet, bonnet blanc » des maximes familières.
Au surplus il serait désirable que s’apaisât la rage de multiplier les moyens de
divulgation en art, car il y aura bientôt infiniment plus de faux artistes que d’art
véritable - je ne suis même pas bien sûr que ce temps-là ne soit déjà échu ?
Il suffirait peut-être de supprimer toute publicité comme tous bénéfices pour mettre
les choses et les gens au point, au nom de cette vérité oubliée... « l’art est
complètement inutile ».
Croyez, mon cher Maus, à mon affectueuse cordialité.
Claude Debussy
(1) A Bruxelles Octave Maus était l’animateur du groupe de la Libre esthétique.
En 1894 il avait organisé un concert des oeuvres de Debussy dans le cadre d’une
exposition réunissant notamment Renoir, Gauguin, Redon, Sisley, Pissaro, Signac
et Maurice Denis. Dans sa lettre il contestait l’utilité des concours dans les conservatoires.
Claude Debussy à Eugène Fromont
Bichain, dimanche 20 septembre /03
Mon cher Fromont,
Voulez-vous être assez aimable… (…)
Claude Debussy à son éditeur Jacques Durand
Bichain 30 septembre 1903
Mon cher ami,
J’ai un peu tardé à répondre à votre dernière lettre, voulant profiter de mes
derniers beaux jours de tranquillité. Hélas ! la joie de vivre avec les bons vieux
arbres est finie, il va falloir revenir parmi les « bonnes gens de Paris » et
réentendre de la musique en carton peint. Heureusement qu’il y aura toujours
l’endroit ami amicalement cordial que représente pour moi le 4 de la place de
la Madeleine sans quoi, j’avoue mon peu d’enthousiasme.
Le Debussy inédit qu’annonce le doux Colonne ne l’est pas moins pour moi ! Il m’a
écrit à ce sujet, mais je ne sais encore ce que je lui donnerai ; dans mes projets :
La Mer est destinée à Chevillard.
A bientôt, cher ami, croyez à ma solidarité.
Claude Debussy
Claude Debussy à Charles Levadé
[Bichain, mi-septembre 1903]
(…) tâche de rester un artiste, tu le peux plus facilement qu’un autre. Entre nous
c’est un titre que beaucoup de nos contemporains portent arbitrairement. Pour la
morale il est nécessaire qu’il y en ait un vrai de temps en temps. (…)
Claude Debussy à Edouard Colonne (1)
Bichain.
Mercredi 30 septembre /03.
Mon cher Monsieur Colonne,
J’attendais toujours pour vous écrire d’avoir la « chose précise » que vous me
demandiez… C’était un « Concert » dans la forme et avec l’orchestre spécial de
ceux de J.S. Bach. Hélas, je n’aurai pas terminé à temps ; quoiqu’y ayant beaucoup
travaillé, il me reste trop de choses à mettre au point.
….
Mon cordial remerciement et mon meilleur souvenir,
Claude Debussy
(1) Chef d’orchestre et violoniste, fonda Les Concerts Colonne.
Claude Debussy à son éditeur Eugène Fromont
Bichain.
Mercredi 30 septembre /03
Mon cher Fromont, nous partons demain pour Paris ; ainsi, ne m’envoyez plus rien
ici, la joie de vivre avec de bons vieux arbres est morte, il va falloir revenir hurler
parmi les loups.
….
A bientôt cher ami, mon affectueuse amitié,
Claude Debussy